Recension dans la revue Contretemps

Classé dans : Presses et rencontres | 0

Les deux essais qui composent ce recueil – « Le fascisme allemand et Nietzsche » et « Le fascisme allemand et Hegel » – datent tous deux de 1943 et constituent des textes de combat à une époque où Lukács, réfugié en URSS depuis 1933[1], prend la plume contre ce qu’il appelle le fascisme allemand. L’utilisation du terme générique « fascisme » renvoie en effet à une catégorisation qui identifie sous un même concept le fascisme italien, le nazisme allemand, et plus généralement un certain nombre de traits idéologiques et institutionnels qu’il s’agit pour Lukács de définir en les indexant de fait sur la réalité du fascisme historique.

Ces textes sont traduits à partir de leur réédition dans un petit volume paru en 1948[2],Schicksalswende. Beiträge zu einer neuen deutschen Ideologie[Le destin bascule. Contributions à une nouvelle idéologie allemande]. Ils représentent tous deux comme un résumé des idées qui seront développées en 1954 dans La Destruction de la raison(sur laquelle Lukács travaille depuis le début des années 1930).  On y trouve ainsi sous une forme condensée les deux paradigmes autour desquels cette œuvre est structurée, le rationalisme – incarné par Hegel[3]– et son opposé direct, l’irrationalisme nietzschéen.

Avant d’entrer plus avant dans les thèses de l’ouvrage, il est nécessaire d’expliciter les enjeux du propos de Lukács. On reproche en effet habituellement à ce dernier le schématisme et l’idéalisme dont il ferait preuve, en élaborant une genèse purement intellectuelle du fascisme allemand[4], appuyée en outre sur des oppositions paradigmatiques trop grossières pour prétendre à une quelconque exactitude historique. Contre ce reproche, il convient premièrement de faire remarquer que Lukács ne prétend pas écrire une histoire scientifique – ce qui n’aurait de sens pour lui que d’un point de vue matérialiste – du fascisme allemand ni même de sa seule idéologie.

La perspective n’est donc en rien similaire à celle qu’entreprend par exemple Bourdieu quelques décennies plus tard dans L’Ontologie politique de Martin Heidegger en identifiant tout d’abord des transformations sociales, qui donnent naissance à une idéologie vague, élevée au rang de philosophie par Heidegger. La perspective de Lukács est quasiment symétrique : il s’agit de remonter au noyau logique de l’idéologie fasciste en étudiant l’histoire conceptuelle de ses précurseurs intellectuels. Le but n’est pas tant d’écrire une histoire réelle que de mettre au jour les solidarités conceptuelles et la dynamique de radicalisation de l’irrationalisme.

Pour ce qui est de l’histoire effective de la réalité fasciste,  Lukács adhère tout à fait au schéma explicatif dégagé par la IIIe Internationale (Dimitrov se trouve d’ailleurs cité, de manière inexacte, à la page 60) mais ce n’est pas d’une explication objective dont il est question pour lui. Tout comme il le fait dans la Destruction de la raison, il explicite les principes idéologiques du nazisme en tant qu’ils constituent la cible première du travail de l’intellectuel. Ce dernier, engagé dans la bataille idéologique et culturelle, est nécessairement contraint, par souci de cohérence, de conférer à cette idéologie une importance, fût-elle minimale, sous peine de priver son propre travail de toute signification. De là également le caractère schématique des thèses en jeu puisqu’il s’agit de revenir au noyau principiel de l’opposition entre fascisme et rationalisme. Lire la suite…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *