Recension de « Marianne aux enfers » dans Respublica

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Dans cet ouvrage, l’autrice, Nathalie Alzas, analyse les représentations, les clichés et stéréotypes qui se sont répandus sur la Révolution française et la 1ère République dans notre société. Elle montre combien la façon de présenter ces événements fondateurs tord le cou à la réalité historique. Tous les apports émancipateurs de la grande Révolution de 1789 sont effacés ou minorés au profit de la vision antirépublicaine et contre-révolutionnaire faisant de la 1ère République la matrice de tous les totalitarismes du 20ème siècle avec leurs horreurs. Ce faisant, les tenants de cette idéologie nauséabonde minimisent le génocide perpétré par les nazis.

Inversion des principes et symboles républicains

L’autrice met en relief une constante de l’extrême droite qui consiste à récupérer les symboles des mouvements progressistes pour les détourner de leur sens originel. Le nom Front national de Le Pen a été repris du mouvement communiste de résistance lors de la Seconde guerre mondiale(1). Ce n’est certes pas un procédé qui ne serait que l’apanage de l’extrême droite, l’extrême centre macroniste a opéré de la même manière en récupérant le sigle CNR, Conseil national de la Résistance, fondé sur la démocratie sociale, pour Conseil national de la refondation au profit d’une logique ultralibérale. Nicolas Sarkozy a procédé de même en mettant à l’honneur le résistant communiste Guy Moquet.

L’auteur cite le film de Philippe de Broca, Les Chouans. Le film met en scène l’exécution d’un enfant à qui il est reproché d’avoir crié « Vive le roi ! ». De fait, le réalisateur procède à l’inversion de l’épisode historique du petit Bara tué par les Vendéens royalistes en raison de sa proclamation « Vive la République ! ».

Oradour interprété à toutes les sauces révisionnistes et simplificatrices

« Invoquer “Oradour” pour dénoncer tel ou tel agissement réel ou supposé de la 1ère République » ne fait pas consensus. « C’est ajouter de la complexité et de l’affrontement à de multiples plaies. » « Peut-on comparer en histoire sans verser dans l’instrumentalisation, la caricature ? Les amalgames entre la Révolution française et la Seconde Guerre mondiale posent d’évidents problèmes. »

L’autrice relève que c’est dans le contexte du procès de 1953 des soldats de la division SS, Das Reich, que furent comparés « les conflits vécus par la localité des Lucs-en-Boulogne, en Vendée » et le massacre d’Oradour-sur-Glane.

L’autrice s’est plongée dans le livre de l’avocat André Moser. Ce dernier ose procéder à un amalgame(2) à propos de ce procès entre la « Guerre civile en Vendée » et Oradour. Ainsi, André Moser pratique une équivalence digne des « collabos » et justifie tout : « Les actes qualifiés de crimes à l’heure allemande devenaient exploits d’héroïsme à l’heure française » et vice versa. Lire la suite…

Recension de « Que faire de Lénine » dans RP

Légende noire ou légende dorée ? Lénine à travers ses polémiques

 

On ne compte plus les livres consacrés à Lénine. Chacun y va de sa « légende noire » ou de sa « légende dorée ». Dans Que faire de Lénine ? (Éditions critiques, 2023), Guillaume Fondu propose une lecture originale du révolutionnaire russe à partir des polémiques avec ses contemporains.

Cent ans après sa mort, Lénine continue d’incarner la révolution russe, aussi bien pour ses défenseurs que ses détracteurs. Au-delà de la légende noire, ou légende dorée sur Lénine, il est présenté aussi comme portant à lui seul les dynamiques historiques de la révolution. C’est selon Guillaume Fondu la faiblesse principale des ouvrages consacrés à Lénine ces dernières décennies. Pour sortir de cette double impasse, l’auteur présente un essai original sur la pensée de Lénine qui se donne deux objectifs. D’abord, restituer les élaborations de Lénine à travers certaines des polémiques qu’il engage avec ses camarades et ses adversaires. Alors que la figure de l’« expert » semble aujourd’hui s’être largement imposée dans les débats contemporains, Lénine nous rappelle qu’une autre figure est possible, quoi qu’elle semble avoir disparue : celle du dirigeant révolutionnaire. Fondu montre qu’elle questionne les rapports entre politique, science et théorie. Il rappelle qu’une des limites de l’expert tient à sa position d’extériorité par rapport à la lutte de classes, comme si son expertise était suffisante. En effet, les sciences ne sont pas porteuses en soi de politisation et la connaissance scientifique du monde et des mécanismes de domination n’est pas en soi émancipatrice. Il faut donc redonner toute sa place à la lutte théorique au sein de la lutte politique : « on fera simplement l’hypothèse ici que les pratiques politiques, même si elles ne le sont pas exclusivement, sont aussi déterminées par des idées, des théories, des projets, des stratégies, etc. ». Mais revenir à Lénine à travers ses polémiques permet également d’éclairer le « répertoire d’actions et d’idées politiques de Lénine » et ses spécificités. Lire la suite…

« La famille : un espace de résistance au libéralisme » interview de Raymond Debord pour Voix populaire

La première idée reçue que vous remettez en question dans votre ouvrage est celle de la défense de la famille comme un combat uniquement de la droite. Que nous dit l’histoire française sur le positionnement des différentes forces politiques sur la famille ?

Raymond Debord La première chose est de ne pas tomber dans l’erreur classique de la gauche – c’est-à-dire considérer que la droite est un bloc homogène, vaguement flanqué d’une extrême-droite. Il y a plusieurs courants idéologiques qui s’expriment historiquement au sein de la droite politique. Deux grands courants sont le conservatisme réactionnaire et catholique d’une part, et d’autre part le libéralisme. Pour des raisons historiques, quand la bourgeoisie française a pris le pouvoir, en particulier après Termidor et dans le courant du 19e siècle, un compromis s’est dessiné en son sein. Celle-ci a emprunté au conservatisme issu de l’Ancien Régime l’essentiel de l’idéologie catholique conservatrice, tout en gardant le libéralisme économique. On retrouve ce dualisme au sein de la droite française tout au long du 20e siècle : libérale en économie et conservatrice sur les questions sociétales.

A partir des années 70, toute une série d’évènements s’enclenchent : crise économique, changement d’ordre productif, changement idéologique dans une fraction de la petite-bourgeoisie, puis dans la bourgeoisie en tant que telle. Finalement, même les forces de gauche s’adaptent au libéralisme dans toutes ses dimensions : économique et idéologique. Au sein de la bourgeoisie, la fraction dite progressiste – en fait, libérale – et incarnée aujourd’hui par Emmanuel Macron devient idéologiquement dominante tandis que la droite traditionnelle se trouve marginalisée. Sur les questions de société, il existe désormais un large consensus, car tout le monde est passé sur des positions libérales. La gauche ne s’intéresse plus à la famille, et ceux qui s’y intéressent raisonnent encore dans des schémas anciens. Ils se contentent d’être à la remorque des gouvernements et ne s’en démarquent qu’en réclamant d’en faire davantage, mais sans s’opposer sur le fond.

Pourtant, historiquement, la défense de la famille populaire faisait partie du programme de la gauche. Que s’est-il passé pour qu’elle abandonne ce combat ?

Le Parti communiste en particulier était farouchement favorable à la famille, en mettant en avant la famille populaire, ce qui le distinguait de la droite sur ce sujet. Plusieurs paramètres expliquent qu’il se soit petit à petit désintéressé de la question. Premièrement, je pense qu’il a été percuté par mai 68 et par le mouvement féministe post-soixante-huitard. Historiquement, il était en dehors du féminisme, et apparaissait comme en retard sur toutes les questions de mœurs. Deuxièmement, et plus globalement, il y a eu suite à la crise de 74-75 la disparition progressive des bastions ouvriers et le recentrage sociologique du PCF sur les classes moyennes. Aujourd’hui, sur un plan sociologique, la totalité de la gauche française se situe dans l’encadrement des salariés de la fonction publique. Quand sa base sociale n’est plus dans la classe ouvrière, même comprise dans un sens très large, il y a une perméabilité aux idées dominantes, celles de la petite-bourgeoisie intellectuelle en l’occurrence. Troisièmement, pour ne pas apparaître comme ringard, le PCF s’est aussi désintéressé des questions de natalité, qui le préoccupait particulièrement puisqu’il mettait fortement en avant la question de l’indépendance nationale. Par voie de conséquence, il s’est désintéressé également des politiques familiales.

Il faut préciser qu’outre le Parti communiste, le courant chrétien ouvrier était très puissant et défendait également la famille. Aujourd’hui, ce courant existe encore dans le mouvement familial mais de façon résiduelle et sans se démarquer sur le plan idéologique.

Vous dites que durant son premier mandat, Emmanuel Macron s’est totalement désintéressé de la famille, à part certains aspects comme la PMA ou les familles homoparentales. Aujourd’hui, certains éléments de son programme montre qu’il y consacre une certaine attention. Que s’est-il passé ?

C’est juste, il se désintéressait complètement de cette question. Mais en réalité, quand on est au pouvoir en France, on ne peut pas l’ignorer. En effet, par la spécificité de la politique familiale française, la famille est partout. Ne pas s’y intéresser voudrait dire basculer sur une politique sociale complètement individualisée, ce qui coûterait très cher ! Je pense qu’il y a donc eu un rappel à la réalité pour des raisons financières.

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