A lire dans Le Monde Diplomatique « Cajoler Pinochet, briser Assange »
En tant que rapporteur spécial sur la torture, je suis mandaté par le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour veiller au respect de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements dans le monde, examiner les allégations de violation de cette interdiction et transmettre des questions et des recommandations aux États concernés en vue de clarifier les cas individuels. En enquêtant sur le cas de Julian Assange, j’ai trouvé des preuves irréfutables de persécution politique et d’arbitraire judiciaire, ainsi que de torture et de mauvais traitements délibérés. Les États responsables ont pourtant refusé de coopérer avec moi pour engager les mesures d’enquête requises par le droit international.
L’affaire Assange, c’est l’histoire d’un homme persécuté et maltraité pour avoir révélé les secrets sordides des puissants, notamment les crimes de guerre, la torture et la corruption. C’est l’histoire d’un arbitraire judiciaire délibéré dans des démocraties occidentales qui tiennent par ailleurs à se présenter comme exemplaires en matière de droits humains. C’est également l’histoire d’une collusion délibérée des services de renseignement dans le dos des Parlements nationaux et du public. C’est enfin l’histoire de reportages manipulés et manipulateurs dans les grands médias aux fins d’isoler, de diaboliser et de détruire délibérément un individu particulier.
Dans une démocratie régie par l’État de droit, tout le monde est égal devant la loi. En substance, cela signifie que des cas comparables doivent être traités de la même manière. Comme Assange aujourd’hui, l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet fut placé en détention extraditionnelle britannique, du 16 octobre 1998 au 2 mars 2000. L’Espagne, la Suisse, la France et la Belgique voulaient le poursuivre pour torture et crimes contre l’humanité. Comme Assange aujourd’hui, Pinochet se décrivait alors comme « le seul prisonnier politique de Grande-Bretagne ». Lire la suite…
VIDÉO – La Croisade des fous – Diana Johnstone
Lu : Le journalisme intégral, d’Antonio Gramsci
Dans ce recueil paru le 20 mars 2022, les Éditions Critiques offrent une sélection de textes de Gramsci portant sur la presse et le journalisme, en partie inédits en français, et précédés par une introduction éclairante du traducteur Fabien Trémeau. Les textes rassemblés ont été écrits par Gramsci à trois moments de son parcours politique et intellectuel, et correspondent ainsi à trois perspectives différentes sur la pratique journalistique.
I) Les textes de 1916-1918 : journaux-marchandises et journal socialiste
Le journalisme a été la première forme d’engagement politique de Gramsci. Il a en effet abandonné ses études universitaires en 1914 – il étudiait la linguistique – et a commencé alors à travailler pour des journaux socialistes, principalement l’Avanti ! (le quotidien national du Parti socialiste italien) et le Grido del popolo (hebdomadaire turinois également socialiste).
Les trois premiers textes de ce recueil sont des articles publiés dans l’édition piémontaise de l’Avanti !, et sont datés respectivement du 22 et du 23 décembre 1916, et du 27 décembre 1918. Gramsci s’y attaque aux journaux bourgeois dans leur ensemble : « Boycottez-les ! boycottez-les ! boycottez- les ! » (p. 33 et p. 39). Car le journal bourgeois est d’abord un « journal-marchandise » (p. 43) qu’il s’agit d’écouler le plus massivement possible ; et, pour cela, il transforme et déforme les informations de sorte à les conformer aux courants dominants de l’opinion publique. Mais c’est encore là « le cas le plus honnête – ou le moins malhonnête – de mercantilisme journalistique », puisqu’il arrive aussi, souvent, que les journaux tâchent plutôt de modeler l’opinion publique en fonction d’intérêts privés. Alors, « il se vérifie ce cas étrange : que la volonté, l’intérêt, le calcul d’une demi-douzaine de propriétaires de journaux s’impose aussi aux intérêts et à la volonté de toute une population » (p. 38).